Magicien, artiste, funambule, les qualificatifs ne manquent pas pour qualifier Dee. Des termes réducteurs tant l’homme est complexe, aussi jovial et communicatif qu’il est sensible et à fleur de peau. Attachant, simplement.
Tu as passé deux années à Roanne, de 2005 à 2007. Quels souvenirs, heureux et moins heureux, gardes-tu de cette période ?
« Il n’y en a pas beaucoup de mauvais, en réalité. Simplement, la première année n’a pas été si simple. Rien de plus normal pour un jeune Américain qui sort pour la première fois de son pays et découvre une nouvelle culture, aborde une vie totalement étrangère. C’est le lot de tous ceux qui font ce métier loin de chez eux. L’adaptation est toujours un peu longue, l’apprentissage pas aussi rapide qu’on le voudrait idéalement mais on s’y fait vite. Quant au reste, je ne retiens que de supers moments. Mon plus beau demeure le titre de champion. C’était la première fois que je remportais un trophée et ces instants ont été géniaux. Pour parachever le tout, c’est à Roanne que j’ai conçu ma fille, Laili. Revenir l’été au pays avec ces deux souvenirs marquants a été quelque chose de grand. »
Quels sont tes rapports avec les anciens de la Chorale, en particulier avec le coach Jean-Denys Choulet qui fait souvent référence à toi ?
« Je leur parle très souvent, sur MSN la plupart du temps. A chaque fois que l’on se revoit, on ne peut s’empêcher de se rappeler les supers moments vécus ensemble. Même avec Pape, ici, on aime bien en parler pour revivre cette période. En revanche, c’est sûr qu’un jour comme aujourd’hui, quand je retrouve Marco Pellin et Aaron Harper, je les vois comme des adversaires. Mon esprit de compétiteur prend largement le dessus sur notre amitié. Quant à Jean-Denys Choulet, c’est encore différent. Il m’a porté et soutenu pendant deux ans, a fait en sorte de me rendre la vie plus facile pour que je me concentre du mieux possible sur mon basket. C’est un homme bien. »
Quand tu quittes ta petite université de Arkansas State en 2005, on imagine que tu faisais partie de la centaine d’Américains qui sortent chaque année de fac sans référence marquante et donc sans grand avenir. Deux ans plus tard, tu es MVP de la Pro A et chassé par des grands d’Europe. Comment expliquer cette trajectoire peu prévisible ?
« Je suppose que je suis quelqu’un de chanceux. Un paquet de gars aurait aimé être à ma place. Quand tu es jeune basketteur aux Etats-Unis, tu ne rêves que de NBA et, au fil des années, tu prends conscience que ce sera difficile, qu’il est possible que tout s’arrête après l’université. Moi, j’ai eu l’opportunité de prendre un autre chemin et, surtout, j’ai su saisir les mains tendues pour m’en sortir. J’étudiais dans une petite structure ignorée du plus grand nombre. Pas de match télévisé au plan national ni de recruteurs dans la salle. Aucune exposition. Rien. A la différence de tous ceux qui jouent dans des programmes relevés, j’étais inconnu hors de ma zone géographique. A ma sortie, j’ai bien eu quelques invitations de franchises pour des essais mais ça n’a rien donné. Je voulais absolument trouver un job. La lumière est venue d’un camp d’agent à Columbus auquel assistaient des coaches français, parmi lesquels Jean-Denys Choulet. Je m’y suis montré à mon avantage (7/8 à 3pts contre l’équipe de France A’). La porte s’est ouverte et je m’y suis engouffré. Tu connais la suite. »
Tu t’es engagé avec le MSB pour l’Euroleague et aussi pour te refaire une virginité après une saison difficile en Italie. La quête d’un triplé fait-elle partie de tes objectifs pour démontrer que tu n’es pas qu’un soliste et que tu peux faire gagner tes équipes ?
« Cela semble toujours des paroles convenues mais rien n’est plus important que de gagner des matches et, plus encore, de ramener des trophées. Les statistiques individuelles ont leur importance, je ne le nie pas, mais elles ne pèsent rien en comparaison des titres. Je veux montrer à tous ceux qui n’en sont toujours pas persuadés que je suis l’homme de la situation. Tout le monde sait que je peux marquer et que j’adore ça. Je veux croire que l’on voit aussi que j’aime passer la balle, aller au rebond et faire plein de petites choses. J’entends souvent que l’on me reproche ma défense mais j’estime faire des efforts dans ce domaine. Et puis, honnêtement, je ne peux pas mettre toute mon énergie des deux côtés du terrain avec la même efficacité. Je fais de mon mieux pour y arriver mais je reste et demeure un scoreur avant tout, un joueur décisif en attaque. La seule chose qui m’importe est que l’équipe en tire bénéfice et que je l’aide à atteindre ses objectifs. »
Revenons à cet hiver et à cette période délicate, sanctionnée par un avertissement pour comportement non adéquat. Que se passait-il à cette période et comment as-tu remonté la pente ?
« L’équipe dans son ensemble ne tournait pas comme nous tous le souhaitions. Je n’étais pas bien et j’avais tendance à m’égarer, à… penser différemment. J’aurais du me comporter autrement. Il me fallait essayer d’aider le groupe, parler avec mes coéquipiers. Je ne l’ai pas fait. Le club m’a rappelé à l’ordre et c’est normal. Je devais me comporter en adulte, en homme, faire ce pourquoi j’étais embauché. Il était impératif de me reprendre car mon esprit était ailleurs. Petit à petit, j’ai fait le ménage dans ma tête et autour de moi pour me sentir mieux et me concentrer sur mon job. J’ai corrigé ce qui devait l’être, balayé ce qui me perturbait hors du terrain. La prise de conscience a été d’autant rapide que les résultats sont tombés et que nous avons remporté la Semaine des As. Tout ça est du passé maintenant. Je suis heureux que le club m’ait gardé et m’ait maintenu sa confiance. Et je suis persuadé que l’on n’en parlera plus dans quelques mois. Gagner est la clef de tout. »
Les faits sont tenaces mais ton émergence correspond au passage sur le banc de David Bluthenthal. Simple hasard ou bien cela confirme t-il que tu as nécessité à être le leader offensif pour donner ton plein rendement ?
« Pas sûr qu’il y ait un rapport de cause à effet car j’ai toujours été l’une des options prioritaires en attaque. Le choix du coach d’utiliser David de la sorte est judicieux, voilà tout. J.D. a considéré qu’avec David en sixième homme, avec sa force de frappe immédiate, cela nous apportait plus d’équilibre. Il faut croire qu’il ne s’est pas trompé. Si quelqu’un en a tiré bénéfice, ce n’est pas moi, non, mais c’est l’équipe. Je ne suis pas du tout le genre d’homme qui se satisferait de la mise sur le banc d’un coéquipier. Moi, je le répète sans cesse, il n’y a que la victoire qui m’importe. Si nous sommes plus forts, et David le premier, dans cette configuration, alors tant mieux. Et puis, j’entends des gens qui disent que tous les deux, nous ne serions pas proches l’un de l’autre. A ceux là, j’aimerais leur dire ceci : croyez-vous que si tel était le cas, nous mangerions très souvent l’un chez l’autre, nous sortirions de temps à autre ensemble, nous irions à Paris pendant deux jours ? Drôle de programme pour de supposés non amis, pas vrai ? »
« Chaque défaite me hante »
De façon plus globale, on ressent chez toi le besoin d’être aimé et reconnu pour t’exprimer au mieux. Cela se voit en match mais aussi au quotidien. Ton avis sur le sujet.
« Je ne l’exprimerai pas ainsi. Je ne nie pas que j’aime percevoir l’appui du public et des supporters. C’est une évidence. De là à dire que j’ai besoin d’être aimé, quand même… Je crois surtout que je ressens la nécessité d’être bien dans mon basket et que cela se convertisse en victoires pour être bien dans ma peau. Je ne suis pas de ces joueurs qui, lorsqu’ils perdent, pensent déjà au prochain match. Moi, chaque défaite me hante. J’ai un mal fou à la chasser et à passer à autre chose, comme si de rien n’était. Mon humeur et mon bien vivre ont surtout rapport avec nos performances. Quand on perd, je souffre. Et quand on perd et que j’estime que je n’étais pas à la hauteur, c’est encore plus dur. »
Pourquoi ce décalage entre ta réputation de joueur difficile et une réalité où tu sembles bien vivre dans ce groupe, où tout le monde s’accorde à dire que tu es un gars sympa ?
« Je ne peux pas faire autrement qu’être moi-même et vivre en accord avec ce que je suis. Et parfois, ce n’est pas suffisant pour faire taire les ragots ou changer les avis. Je sais qui je suis, un mec qui aime rire, blaguer en permanence, discuter avec tous ceux qui ont envie de le faire, quelqu’un qui a besoin de ces rapports pour s’exprimer au mieux dans son basket. Il me semble que je suis bien compris en France, à Roanne avant et au Mans aujourd’hui. En revanche, pour une raison que j’ignore, ce même comportement était pris pour un manque de sérieux en Italie. Les gens ne comprenaient pas qu’une fois le basket terminé, je passais à autre chose. J’avais besoin de vivre, de me couper de mon métier. Bah, globalement, tu peux difficilement changer les étiquettes que l’on te colle hâtivement. Surtout celles colportées par des personnes qui ne te connaissent même pas. Je vis avec, c’est tout. »
« Quand on aura tout gagné… »
Quel est le rôle de coach Jackson dans ton évolution de basketteur et d’homme ?
« Comme tout débutant dans son métier, il apprend au fil de la saison et progresse, à la différence près qu’il a été un bon basketteur et qu’il sent des trucs de joueurs. Il a accroché les As à son palmarès et… (il prend son air malin) quand on aura tout gagné cette année, on pourra dire de lui qu’il ne s’en est pas trop mal sorti pour une première expérience. (Il répète en s’esclaffant) Quand on aura tout gagné, il n’en sera que plus fort et tout le monde se demandera quelle peut bien être sa limite. On regardera le ciel et on tracera une ligne imaginaire dans cette direction. Oui, quand on aura tout gagné... »
Faut-il voir dans ton renouveau l’explication principale de la montée en régime de l’équipe ?
« Aucune idée. Moi, ce qui m’importe, c’est le triplé. Je le veux à titre personnel, mais aussi pour le coach, l’équipe, le club. L’arrivée de Bobby n’est pas étrangère à notre beau parcours mais ce serait réducteur de l’expliquer par sa seule venue. Tout le groupe s’est repris en main, des joueurs au coach qui a mieux saisi les forces et faiblesses de chacun. Une saison est longue. Si de nombreuses équipes fléchissent, voire s’écroulent, nous, au contraire, nous avons progressé sans cesse, en apportant les corrections nécessaires. Et je pense que nous n’avons pas fini de monter en puissance. »
Y-a-t-il un parallèle à faire entre le Roanne de 2007, vainqueur des As et champion de France, et le MSB version 2009 ?
« L’exercice est impossible pour une seule raison : la saison n’est pas terminée et notre but pas encore atteint. Le désir est là et les deux équipes ont ce quelque chose de spécial qui me permet de penser que l’histoire est en marche. »